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Fild&nbsp;: Quel est votre parcours en quelques mots&nbsp;? Djaffer Ait Aoudia&nbsp;: J&rsquo;ai commenc&eacute; tr&egrave;s jeune en tant que journaliste en Alg&eacute;rie et je suis arriv&eacute; en France &agrave; 20 ans. Imm&eacute;diatement, j&rsquo;ai plong&eacute; dans le grand reportage et je me suis mis &agrave; parcourir le monde et &agrave; travailler pour de nombreux m&eacute;dias. J&rsquo;ai collabor&eacute; avec Paris Match, Arte Reportage, Envoy&eacute; sp&eacute;cial, Marianne. J&rsquo;ai r&eacute;alis&eacute; des reportages partout, depuis l&rsquo;Am&eacute;rique Latine &agrave; l&rsquo;Asie, en passant par le Moyen-Orient et le Maghreb. Fild&nbsp;: Quel a &eacute;t&eacute; votre premier grand reportage&nbsp;? Djaffer Ait Aoudia&nbsp;: C&rsquo;&eacute;tait en 1997, au Liban, &agrave; l&rsquo;&eacute;poque du retrait des forces isra&eacute;liennes du Sud Liban. On racontait pour les Derni&egrave;res nouvelles d&rsquo;Alsace ce qui &eacute;tait advenu des familles des soldats de l&rsquo;Arm&eacute;e du Sud Liban (ASL), qui &eacute;taient un peu les harkis de la guerre civile libanaise et qui avaient collabor&eacute; avec Isra&euml;l. Les soldats sont all&eacute;s en Isra&euml;l, mais les familles rest&eacute;es au Liban subissaient des repr&eacute;sailles. J&rsquo;ai ensuite enchain&eacute; sur la Yougoslavie, la guerre du Kosovo, puis l&rsquo;Afghanistan en 2001 sous les talibans. Fild&nbsp;: Pourquoi avoir choisi de cr&eacute;er Le Correspondant&nbsp;? Djaffer Ait Aoudia&nbsp;: Quand on regarde le paysage m&eacute;diatique et la presse traditionnelle aujourd&rsquo;hui, on constate qu&rsquo;elle s&rsquo;&eacute;carte un petit peu de ce qu&rsquo;a &eacute;t&eacute; initialement le journalisme. &Agrave; savoir pointer les vrais probl&egrave;mes, les raconter, sans tenir compte des influences politiques ou financi&egrave;res. Malheureusement, ce n&rsquo;est plus vraiment le cas, m&ecirc;me s&rsquo;il y a encore de bons reportages ou enqu&ecirc;tes. Les lecteurs s&rsquo;&eacute;loignent de plus en plus de la presse, il fallait trouver une alternative. Elle a &eacute;t&eacute; amorc&eacute;e par certains m&eacute;dias comme Mediapart ou Marsactu, et nous avons donc d&eacute;cid&eacute; de donner la parole au terrain &agrave; travers des reporters et des journalistes, fran&ccedil;ais et &eacute;trangers. On a ainsi un panel de visions qui permettent de regarder le monde &agrave; travers une multitude de fen&ecirc;tres. Fild&nbsp;: Quel est l&rsquo;esprit de votre journal&nbsp;? Djaffer Ait Aoudia&nbsp;: Notre ligne est simple. Nous ne voulons pas verser dans la propagande, mais faire de l&rsquo;information, et cela passe par la focalisation sur de v&eacute;ritables enjeux sans vouloir faire diversion. C&rsquo;est une autre fa&ccedil;on de hi&eacute;rarchiser l&rsquo;information. Notre style pourrait &ecirc;tre qualifi&eacute; de corrosif, mais l&rsquo;&eacute;criture y est libre, avec une v&eacute;ritable documentation.
Fild&nbsp;: Pensez-vous que le grand reportage et l&rsquo;enqu&ecirc;te de terrain ont encore de l&rsquo;avenir&nbsp;? Djaffer Ait Aoudia&nbsp;: Je pense tr&egrave;s sinc&egrave;rement que les lecteurs le demandent. Ce n&rsquo;est pas anodin que soit relay&eacute; un reportage de qualit&eacute; &agrave; la t&eacute;l&eacute;vision ou dans la presse &eacute;crite. Quand il est bon, on l&rsquo;&eacute;voque. Le grand reportage n&rsquo;est pas mort, c&rsquo;est en revanche quelque chose de difficile &agrave; r&eacute;aliser. C&rsquo;est co&ucirc;teux, les journalistes sont pris &agrave; la gorge par le besoin de boucler les fins de mois, et malheureusement il y a peu de m&eacute;dias qui sont demandeurs. Si on n&rsquo;a pas la chance de placer le reportage chez Paris Match ou pour une chaine de t&eacute;l&eacute;vision, on s&rsquo;en sort avec des cacahu&egrave;tes. Mais je pense que le grand reportage est l&rsquo;avenir du journalisme, parce que ce n&rsquo;est pas du desk, derri&egrave;re un bureau, o&ugrave; l'on fait des analyses. Le reporter va un petit peu "secouer le cocotier". Il va donner la parole, chercher la r&eacute;alit&eacute; &agrave; travers les gens, et d&eacute;crypte de tr&egrave;s pr&egrave;s. Et quand on essaye de faire des choses int&egrave;gres et honn&ecirc;tes, affranchies de toute influence, on fait vraiment notre m&eacute;tier. 
Fild&nbsp;: Quelle est votre conception de la profession&nbsp;? Djaffer Ait Aoudia&nbsp;: Le m&eacute;tier de reporter, c&rsquo;est de constater des situations, de les observer, de les faire parler. Parfois, comme dirait Albert Londres, c&rsquo;est de " porter la plume dans la plaie". C&rsquo;est aussi notre travail de bien r&eacute;fl&eacute;chir. Quand on voit ce qui se passe dans la presse au quotidien, on donne la parole aux uns et aux autres, on confronte les situations, et le lecteur sort avec un paquet d&rsquo;informations, mais il n&rsquo;a pas de r&eacute;ponse &agrave; la question pos&eacute;e. Dans le reportage, on prend plus de temps, pour non seulement poser des questions, et surtout pour avoir une v&eacute;ritable r&eacute;ponse. On ne l&rsquo;a pas toujours, on n&rsquo;est pas des flics, mais on arrive &agrave; r&eacute;unir les moyens n&eacute;cessaires pour essayer de toucher, de palper cette r&eacute;alit&eacute;. On se trompe parfois bien s&ucirc;r, naturellement, mais on essaye de l&rsquo;aborder avec une certaine honn&ecirc;tet&eacute;. C&rsquo;est percer le brouillard pour voir ce qu&rsquo;il se passe derri&egrave;re ce voile. C&rsquo;est &ccedil;a le reportage ! Il y a une volont&eacute; d&rsquo;aller plus loin dans la recherche et la qu&ecirc;te de l&rsquo;information. On s&rsquo;implique personnellement dans le terrain, beaucoup y laissent leur vie. Fild&nbsp;: Vous avez r&eacute;cemment publi&eacute; Avignon : une autre affaire &ldquo;Gaudin&rdquo;, une affaire tr&egrave;s sensible. En quoi est-ce du grand reportage&nbsp;? Djaffer Ait Aoudia&nbsp;: On est &agrave; mi-chemin entre enqu&ecirc;te et grand reportage. La situation relat&eacute;e dans l&rsquo;article est connue depuis longtemps par les journalistes locaux, mais aucun n&rsquo;a os&eacute; s&rsquo;y mouiller r&eacute;ellement. Avec Le Correspondant, nous l&rsquo;avons fait. Quand on fait du grand reportage, on s&rsquo;implique au niveau politique. On n&rsquo;a pas peur de recevoir les coups, on sait que &ccedil;a va arriver, mais on va quand m&ecirc;me y aller parce qu&rsquo;on est s&ucirc;r de ce que l&rsquo;on avance. Quand on n&rsquo;a pas peur de se dire qu&rsquo;on n&rsquo;aura pas de publicit&eacute;, pas d&rsquo;argent pour travailler, qu&rsquo;on risque de baisser le rideau si l'on publie ou si l'on va sur ce terrain-l&agrave;, on est dans le grand reportage. On ne va pas l&acirc;cher, parce que l'on estime qu&rsquo;il y a quelque chose &agrave; raconter qui rel&egrave;ve de l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t g&eacute;n&eacute;ral, tant au niveau national qu'international.
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Djaffer Ait Aoudia : « Le grand reportage est l’avenir du journalisme ».

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Fild&nbsp;: Quelle est l&rsquo;ampleur de l&rsquo;emprise mafieuse en Corse ?
Jean-Michel Verne&nbsp;: L&rsquo;emprise mafieuse touche toutes les strates socio-&eacute;conomiques de l&rsquo;&Icirc;le. Prenons un exemple, les pouvoirs publics ont port&eacute; un coup tr&egrave;s dur &agrave; l&rsquo;&eacute;quipe du <a href="https://fildmedia.com/article/corse-dans-les-arcanes-du-petit-bar">Petit bar</a> d&rsquo;Ajaccio. On s&rsquo;est aper&ccedil;u que ces gens l&agrave; avaient mis en place un syst&egrave;me qui permettait de recycler l&rsquo;argent du racket, du trafic de drogue et d&rsquo;autres activit&eacute;s criminelles dans une &eacute;conomie &laquo; propre&nbsp;&raquo;. Aujourd&rsquo;hui on traque l&rsquo;argent sale en mettant des moyens tr&egrave;s forts &agrave; la disposition des gendarmes pour terrasser le mal. Que ce soit le BTP, le transport maritime, le tourisme et m&ecirc;me l&rsquo;environnement, tous les secteurs sont touch&eacute;s. Par exemple, l&rsquo;ancien directeur du parc r&eacute;gional Jean-Luc Chiappini a &eacute;t&eacute; assassin&eacute; en 2013. Il rentrait de Paris, et apr&egrave;s le premier carrefour en sortant de l&rsquo;a&eacute;roport, il a &eacute;t&eacute; doubl&eacute; par un gros scooter, puis il a &eacute;t&eacute; tu&eacute; au volant de son v&eacute;hicule. Il y a aussi un patron de d&eacute;chetterie qui circule en voiture blind&eacute;e, entour&eacute; par des gardes du corps. Ind&eacute;pendamment des r&egrave;glements de comptes, toute une cha&icirc;ne t&eacute;moigne de cet &eacute;tat de fait. Autre exemple, des engins de chantier sont br&ucirc;l&eacute;s car une soci&eacute;t&eacute; a obtenu des march&eacute;s publics et cela a d&eacute;plu &agrave; une soci&eacute;t&eacute; concurrente. Dans la p&eacute;riode que nous traversons, le territoire se r&eacute;tr&eacute;cit et l&rsquo;on sort les couteaux. Si l&rsquo;on peut an&eacute;antir le rival, on le fait. Cette situation va s&rsquo;aggraver avec la crise de la Covid, qui est une v&eacute;ritable gifle &eacute;conomique pour la Corse.
Fild&nbsp;: Quelles sont les sp&eacute;cificit&eacute;s de la mafia corse en comparaison avec la Cosa Nostra ou la Camorra&nbsp;? 
Jean-Michel Verne&nbsp;: Cosa Nostra et la Camorra sont diff&eacute;rentes. La premi&egrave;re est une structure tr&egrave;s hi&eacute;rarchis&eacute;e construite au fil des ann&eacute;es avec des commissions de province et une commission de Palerme qui chapeaute tout. Cette mafia fonctionne avec un rituel initiatique tr&egrave;s d&eacute;velopp&eacute; que l&rsquo;on retrouve en Calabre avec la &lsquo;Ndrangheta*. Il y a l&agrave; toute une symbolique parama&ccedil;onnique recycl&eacute;e comme celle de se couper le doigt et de faire gicler le sang. Cosa Nostra use du discours incomplet&nbsp;: sans le dire vraiment, on peut ordonner un assassinat. On ne va pas dire clairement &laquo;&nbsp;va assassiner&nbsp;&raquo; cette personne. On va le faire comprendre.
La Camorra fonctionne diff&eacute;remment, fa&ccedil;on horizontale, un peu comme en Corse. &nbsp;Comme les camorristes, les mafieux corses se moquent des r&egrave;gles initiatiques. Ils sont avant tout int&eacute;ress&eacute;s par l&rsquo;argent et le business. Comme pour l&rsquo;&eacute;quipe embl&eacute;matique de la Brise de mer**dans les ann&eacute;es 80-90, qui fonctionnait par un syst&egrave;me de cercles concentriques. Un petit groupe d&rsquo; &laquo;&nbsp;initi&eacute;s&nbsp;&raquo; va former le noyau dur, puis d&rsquo;autres cercles vont se rattacher au cercle initial. Peu &agrave; peu, le cercle s&rsquo;&eacute;largit. Des organisations telles que Les bergers braqueurs*** ou le gang du Petit bar vont s&rsquo;adjoindre des aides. Ces aides peuvent &ecirc;tre par exemple certains avocats, des &laquo;&nbsp;consiglieri&nbsp;&raquo; sachant faire du montage (financier ndlr) et autres basses besognes. Ils peuvent aussi recruter &agrave; la demande &agrave; l&rsquo;ext&eacute;rieur du groupe des &eacute;quipes de tueurs pour un contrat pr&eacute;cis. On a l&agrave; un mode de fonctionnement horizontal mais assez sophistiqu&eacute; quant au processus de blanchiment des capitaux qui se rapproche un peu de Cosa Nostra, sans toutefois en atteindre l&rsquo;envergure.
Fild&nbsp;: Pourquoi le pouvoir r&eacute;galien peine -t-il &agrave; faire respecter l&rsquo;&Eacute;tat de droit en Corse&nbsp;? 
Jean-Michel Verne&nbsp;: C&rsquo;est une question qui renvoie aux ann&eacute;es 70 avec l&rsquo;apparition du mouvement nationaliste et sa radicalisation &agrave; travers le FLNC. &Agrave; cette &eacute;poque, l&rsquo;&Eacute;tat s&rsquo;est retrouv&eacute; coup&eacute; en deux entre la n&eacute;cessit&eacute; de mettre fin au terrorisme clandestin et la ma&icirc;trise du milieu Corse. En m&ecirc;me temps, deux forces vont prendre de l&rsquo;ampleur, celle de la Brise de mer d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute; et le FLNC de l&rsquo;autre. L&rsquo;&Eacute;tat va se prendre les pieds dans le tapis en favorisant les uns pour abattre les autres. La priorit&eacute; &eacute;tait quand m&ecirc;me le FLNC. Il fallait absolument canaliser ce terrorisme politique, quitte &agrave; passer certains accords avec des organisations criminelles telles que la Brise de mer. Tout ceci explique que pendant des ann&eacute;es ces gens-l&agrave; ont &eacute;t&eacute; d&rsquo;une certaine fa&ccedil;on intouchables. En 2000, le<a href="https://www.lalibre.be/international/un-rapport-secret-sur-la-criminalite-organisee-en-corse-51b87439e4b0de6db9a61e25"> rapport</a> du procureur g&eacute;n&eacute;ral Bernard Legras a mis le feu aux poudres car il d&eacute;non&ccedil;ait cette ambigu&iuml;t&eacute; de l&rsquo;&Eacute;tat qui laissait prosp&eacute;rer la gen&egrave;se d&rsquo;une mafia&nbsp;. 20 ans plus tard on s&rsquo;aper&ccedil;oit que son rapport est d&rsquo;une br&ucirc;lante actualit&eacute;.
Fild&nbsp;: Dans votre livre, vous n&rsquo;h&eacute;sitez pas &agrave; qualifier la mafia corse d&rsquo; &laquo;&nbsp;appareil fasciste&nbsp;&raquo;,&nbsp; &agrave; l&rsquo;instar du maire de Linguizzetta qui vous a livr&eacute; son t&eacute;moignage. Pour quelles raisons&nbsp;? &nbsp;&nbsp;
Jean-Michel Verne&nbsp;: Un grand opposant de la mafia en Sicile m&rsquo;a dit un jour&nbsp;: &laquo; la mafia, c&rsquo;est comme le nazisme&nbsp;&raquo;. Avant toute chose, la mafia est un mode d&rsquo;organisation sociale. &Agrave; partir du moment ou des organisations criminelles distillent sur un territoire une ambiance d&rsquo;intimidation et de peur, la d&eacute;mocratie est menac&eacute;e. 
Fild&nbsp;: Malgr&eacute; la progression de l&rsquo;emprise mafieuse en Corse, comment expliquez-vous que la constitution d&rsquo;une commission d&rsquo;enqu&ecirc;te parlementaire n&rsquo;ait pas encore vu le jour&nbsp;? 
Jean-Michel Verne&nbsp;: &Agrave; la suite de l&rsquo;assassinat du pr&eacute;fet &Eacute;rignac, il y en eut plusieurs. Il me semble qu&rsquo;une nouvelle commission d&rsquo;enqu&ecirc;te para&icirc;t n&eacute;cessaire pour faire la lumi&egrave;re autour d&rsquo;un groupe d&rsquo;entrepreneurs appel&eacute; le consortium&nbsp;CM Holding qui a pris en main toute l&rsquo;&eacute;conomie de l&rsquo;&Icirc;le. Cela concerne les transports maritimes, la grande distribution etc. Ils sont partout. Pour rappel, la mafia &eacute;tait l&rsquo;un des fers de lance de l&rsquo;autonomie Sicilienne qui a pu mettre la main sur une manne de march&eacute;s publics li&eacute;s &agrave; des secteurs juteux comme la sant&eacute; ou la formation. Autonomie et mafia sont li&eacute;es par une sorte de communaut&eacute; d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t. Je m&rsquo;explique. La Corse jouit d&rsquo;une certaine autonomie et d&rsquo;un statut particulier, avec une Assembl&eacute;e de Corse qui l&eacute;gif&egrave;re &agrave; son niveau et prend des d&eacute;cisions sous l&rsquo;&oelig;il et le contr&ocirc;le de l&rsquo;&eacute;tat jacobin qui conserve pour l&rsquo;heure la main. Il est certain qu&rsquo;avec ces revendications l&eacute;gitimes d&rsquo;autonomie on voit conjointement prosp&eacute;rer les mafias. C&rsquo;est un constat.
Fild&nbsp;: La mafia corse et son corollaire, l&rsquo;omerta, semblent avoir un pouvoir gigantesque sur l&rsquo;&Icirc;le. Quelles sont les solutions pour enrayer ces ph&eacute;nom&egrave;nes&nbsp;? 
&nbsp;Jean-Michel Verne&nbsp;: Il faut indiscutablement une lib&eacute;ration de la parole dans l&rsquo;espace public. C&rsquo;est ce qu&rsquo;il s&rsquo;est pass&eacute; avec la cr&eacute;ation de deux collectifs anti-mafia&nbsp;: le collectif <a href="https://massimususini.corsica/">Massimu Susini</a> et celui de &laquo;&nbsp;<a href="https://www.maffiano.com/">Mafia No, a Vita I&egrave;</a>&nbsp;&raquo;. La parution de mon livre <a href="https://www.lisez.com/livre-grand-format/juges-en-corse/9782221217108">Juges en Corse</a> (Robert Laffont 2019) a jou&eacute; aussi son r&ocirc;le. Tout ceci nous montre que par l&rsquo;&eacute;criture, la parole et le discours, on arrive &agrave; r&eacute;veiller les consciences et placer la mafia en position marginale. Je rends ici hommage au travail de Vincent Carlotti, le premier t&eacute;moin de &laquo;&nbsp;R&eacute;sister en Corse&nbsp;&raquo; qui est l&rsquo;un des deux fondateurs de &laquo;&nbsp;Mafia No&nbsp;&raquo;. Cet ancien &eacute;lu a compris depuis longtemps que ces hors la loi ont cr&eacute;&eacute; une vraie structure oppressante et dangereuse pour la vie de l&rsquo;&Icirc;le.
Fild&nbsp;: Au regard des t&eacute;moignages que vous avez recueillis dans votre ouvrage, il ressort qu&rsquo;un mouvement citoyen se cr&eacute;&eacute; en Corse contre la voyoucratie. Va &ndash; t -il faire des &eacute;mules et parvenir &agrave; sauver la d&eacute;mocratie sur l&rsquo;Ile&nbsp;? 
Jean-Michel Verne&nbsp;: On constate que les gens arrivent &agrave; s&rsquo;identifier en participant &agrave; un groupe. Mais individuellement, ils ont beaucoup de difficult&eacute;s &agrave; s&rsquo;exprimer. Je l&rsquo;ai constat&eacute; en r&eacute;digeant ce livre. Certains ont accept&eacute; de t&eacute;moigner, d&rsquo;autres se sont r&eacute;tract&eacute;s au dernier moment. Ils se sont en quelque sorte &laquo;&nbsp;d&eacute;ballonn&eacute;s&nbsp;&raquo; et je trouve cela inqui&eacute;tant. Je constate qu&rsquo;il y a une difficult&eacute; &agrave; individualiser son discours et &agrave; s&rsquo;exposer personnellement sur l&rsquo;Agora. Cr&eacute;er des groupes derri&egrave;re lesquels on se r&eacute;fugie, placer des gens devant une table tout en haut d&rsquo;une tribune, ce n&rsquo;est pas l&agrave; un vrai fonctionnement d&eacute;mocratique. Il faut que les gens participent individuellement &agrave; un travail de fond sur le terrain comme d&rsquo;autres l&rsquo;ont fait en<a href="https://journals.openedition.org/laboratoireitalien/2753"> Sicile</a>. En Corse, nous en sommes tr&egrave;s loin.
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* La &rsquo;Ndrangheta est une organisation mafieuse de la r&eacute;gion de Calabre, situ&eacute;e dans le sud de l&rsquo;Italie, &agrave; l&rsquo;est du Mezzogiorno. Elle est d&rsquo;origine rurale comme sa voisine Cosa Nostra
** Le&nbsp;gang de la Brise de mer&nbsp;est un&nbsp;groupe criminel Corse&nbsp;qui doit son nom &agrave; celui d'un bar&nbsp;du vieux port de Bastia. &nbsp;
*** Le&nbsp;Bande des bergers de Venzolasca, aussi appel&eacute;e bande des bergers braqueurs est un groupe de criminalit&eacute; organis&eacute;e situ&eacute; dans la plaine orientale.
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Jean-Michel Verne : Ses révélations sur la mafia Corse

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Fild&nbsp;: De la Syrie en guerre, qu&rsquo;est-ce qui vous a le plus frapp&eacute; ?
Alexandre Goodarzy&nbsp;: C&rsquo;est le d&eacute;calage entre l&rsquo;obsession des m&eacute;dias fran&ccedil;ais &agrave; vouloir pr&eacute;senter Bachar Al Assad comme le mal absolu, et la fa&ccedil;on dont la majorit&eacute; de la population a v&eacute;cu ce conflit. Pour les Syriens, l&rsquo;ennemi n&rsquo;&eacute;tait pas Damas mais ceux que la plupart de nos journaux appelaient les &laquo;&nbsp;rebelles&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire les djihadistes. Il faut dire qu&rsquo;&agrave; quelques exceptions pr&egrave;s, comme R&eacute;gis Le Sommier de Paris Match, tr&egrave;s peu de reporters se sont donn&eacute;s la peine de couvrir le conflit du c&ocirc;t&eacute; du &laquo; r&eacute;gime &raquo;. M&ecirc;me mis devant l&rsquo;&eacute;vidence, certains tordaient encore la r&eacute;alit&eacute; : parmi les journalistes qui accompagnaient la d&eacute;l&eacute;gation de parlementaires fran&ccedil;ais venus en Syrie en janvier 2017, certains refus&egrave;rent d&rsquo;imputer aux djihadistes le bombardement violent qui visa notre petite troupe sur le tarmac de l&rsquo;a&eacute;roport d&rsquo;Alep &agrave; peine lib&eacute;r&eacute;e. Ils ni&egrave;rent l&rsquo;&eacute;vidence.
Fild&nbsp;: Vous &ecirc;tes r&eacute;cemment retourn&eacute; en Syrie. Quelle est la situation ?
Alexandre Goodarzy&nbsp;: La vie s&rsquo;est litt&eacute;ralement arr&ecirc;t&eacute;e. Les rues de la capitale, les terrasses des caf&eacute;s, o&ugrave; la jeunesse insouciante, les nantis du pays et m&ecirc;me les profiteurs de guerre se retrouvaient le soir pendant tout le conflit - y compris dans les moments critiques - sont aujourd&rsquo;hui d&eacute;sert&eacute;es. Le peuple en vient &agrave; regretter ouvertement la p&eacute;riode des bombardements. On sent que ce pays est en train d&rsquo;agoniser.
Fild&nbsp;: Malgr&eacute; la paix ?
Alexandre Goodarzy&nbsp;: Oui. Aux monceaux de ruines, s&rsquo;ajoutent d&eacute;sormais la famine et les maladies. Partout, le pain manque. Le bl&eacute; qui poussait dans les plaines fertiles bord&eacute;es par le Tigre et l&rsquo;Euphrate s&rsquo;est tari. Il est import&eacute; au compte-goutte et &agrave; prix d&rsquo;or du Liban. L&rsquo;&eacute;lectricit&eacute; se fait rare, faute de p&eacute;trole. Les puits de l&rsquo;Est sont aux mains des Kurdes, des Am&eacute;ricains et des Russes, qui se servent sur la b&ecirc;te. Les sanctions internationales bloquent toutes les importations, y compris les m&eacute;dicaments. L&rsquo;embargo, cette nouvelle arme de guerre qui a remplac&eacute; les bombes et les canons, affecte cette fois tous les Syriens sans distinction. Les derni&egrave;res sanctions am&eacute;ricaines (la loi Cesar de 2020) ont clairement pr&eacute;cipit&eacute; le chaos.
Fild&nbsp;: On &eacute;voque la tenue d&rsquo;une pr&eacute;sidentielle au d&eacute;but de l&rsquo;&eacute;t&eacute;. Assad pourrait-il &ecirc;tre sanctionn&eacute; par les urnes ?
Alexandre Goodarzy&nbsp;: La Russie l&rsquo;a sauv&eacute;. C&rsquo;est le moment ou jamais pour lui d&rsquo;engager r&eacute;formes que les gens attendent, en particulier pour stopper la corruption end&eacute;mique. Sur place, il se dit que le pr&eacute;sident pourrait s&rsquo;effacer au profit de sa femme, Asma. Quoi qu&rsquo;il en soit, les sanctions n&rsquo;auront que peu d&rsquo;effets sur la famille r&eacute;gnante. Pour les Syriens, aujourd&rsquo;hui, le principal danger vient des cellules de Daech qui ont resurgi et se multiplient dans tous les territoires situ&eacute;s &agrave; l&rsquo;est de l&rsquo;Euphrate.
Fild&nbsp;:&nbsp; &nbsp;Comment l&rsquo;expliquer ?
Alexandre Goodarzy&nbsp;: A la faveur de la guerre, les Kurdes du Nord ont &eacute;tendu leur autorit&eacute; &agrave; cette partie du pays. Or, elle est peupl&eacute;e en majorit&eacute; d&rsquo;Arabes qui ne supportent pas le joug de leurs nouveaux ma&icirc;tres. Les djihadistes jouent de ces rivalit&eacute;s ancestrales. Leur propagande trouve aussi un &eacute;cho favorable aupr&egrave;s des petites gens frapp&eacute;s de plein fouet par la crise &eacute;conomique et humanitaire.
Fild&nbsp;:&nbsp; Parmi les chr&eacute;tiens, certains ont combattu Daech et beaucoup ont pris le chemin de l&rsquo;exil. Combien sont-ils encore en Syrie ? 
Alexandre Goodarzy&nbsp;: Sur les 2 millions recens&eacute;s avant la guerre, on estime qu&rsquo;il en reste entre 600 000 et 700 000. Un tiers seulement. En revanche, ils repr&eacute;sentent toujours &agrave; peu pr&egrave;s 10% de la population. Ce pays de 20 millions d&rsquo;habitants a subi une v&eacute;ritable h&eacute;morragie d&eacute;mographique. Ces dix derni&egrave;res ann&eacute;es, la guerre a tu&eacute; 400 000 personnes et pr&egrave;s de 5 millions sont partis&hellip;
Fild&nbsp;:&nbsp; Quel est l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;esprit des &laquo;&nbsp;r&eacute;sistants&nbsp;&raquo; ?
Alexandre Goodarzy&nbsp;: Beaucoup sont envahis par le regret de ne pas &ecirc;tre partis au d&eacute;but du conflit, comme d&rsquo;autres. Ils ont fait front, se sont souvent battus pour d&eacute;fendre leurs maisons - et pas forc&eacute;ment le gouvernement - et ils ont le sentiment douloureux d&rsquo;avoir &eacute;t&eacute; trahis. Ils ne voient pas leur situation s&rsquo;am&eacute;liorer. Ils jugent in&eacute;luctable le d&eacute;ferlement d&rsquo;une seconde vague islamiste.
Fild&nbsp;:&nbsp; N&rsquo;est-ce pas un peu d&eacute;courageant pour les &laquo;&nbsp;guerriers de la paix&nbsp;&raquo; de SOS Chr&eacute;tiens d&rsquo;Orient, l&rsquo;ONG dont vous &ecirc;tes le directeur adjoint des op&eacute;rations ?
Alexandre Goodarzy&nbsp;: A courte vue, c&rsquo;est vrai, la situation ne pr&ecirc;te pas &agrave; l&rsquo;optimisme. Mais au-del&agrave; de l&rsquo;aide humanitaire d&rsquo;urgence que nous apportons aux chr&eacute;tiens pour les inciter &agrave; rester chez eux, notre mission consiste &agrave; t&eacute;moigner du calvaire qu&rsquo;ils endurent partout dans le monde. De la Syrie au Pakistan, en passant par l&rsquo;Ethiopie, nous alertons l&rsquo;Occident. Il faut agir en amont des pers&eacute;cutions qui se multiplient &agrave; leur encontre.
Fild&nbsp;:&nbsp; En janvier 2020, &agrave; votre arriv&eacute;e &agrave; Bagdad, en Irak, vous &ecirc;tes enlev&eacute; avec trois camarades et d&eacute;tenus comme otage pendant 66 jours. Qui &eacute;taient vos ravisseurs, que voulaient-ils ?
Alexandre Goodarzy&nbsp;: Sur le moment, tout &eacute;tait tr&egrave;s confus. Nous nous rendions en Irak &agrave; l&rsquo;invitation des autorit&eacute;s chr&eacute;tiennes. Arriv&eacute;s 17 jours apr&egrave;s l&rsquo;assassinat du g&eacute;n&eacute;ral iranien Qassem Soleimani, le v&eacute;ritable patron des milices chiites en Irak, la tension politique &eacute;tait &agrave; son comble, les manifestations quotidiennes. Peu &agrave; peu, nous avons compris que nous &eacute;tions aux mains du groupe Hachd Ash-Shabi. C&rsquo;est une n&eacute;buleuse de &laquo;&nbsp;durs &agrave; cuire&nbsp;&raquo;, qui ont notamment repris Mossoul &agrave; Daech. Les services fran&ccedil;ais ont identifi&eacute; avec pr&eacute;cision nos ravisseurs. On les a critiqu&eacute;s apr&egrave;s les attentats de 2015 et 2016 sur notre sol. Croyez-moi, ils sont vraiment tr&egrave;s forts pour &ecirc;tre parvenu &agrave; d&eacute;m&ecirc;ler cet &eacute;cheveau.
Fild&nbsp;:&nbsp; Savez-vous pourquoi vous avez &eacute;t&eacute; enlev&eacute; ? 
Alexandre Goodarzy&nbsp;: Nos ravisseurs se sont pr&eacute;sent&eacute;s &agrave; nous comme des &eacute;missaires du gouvernement irakien voulant faire pression sur l&rsquo;Occident. On sait bien que ces milices agissent aussi pour leur propre compte, pour s&rsquo;enrichir. Dans le chaos irakien, impossible d&rsquo;avoir des certitudes. Nous avons eu tr&egrave;s peur d&rsquo;&ecirc;tre vendus &agrave; Daech ; c&rsquo;&eacute;tait la mort assur&eacute;e. Avant de nous lib&eacute;rer, nos ge&ocirc;liers nous ont d&eacute;clar&eacute; : &laquo;&nbsp;Si on vous dit qu&rsquo;une ran&ccedil;on a &eacute;t&eacute; pay&eacute;e, ce n&rsquo;est pas vrai&nbsp;&raquo;. Ce qui est certain, c&rsquo;est que nous avons retrouv&eacute; la libert&eacute; le 26 mars 2020, lorsque la Covid 19 a d&eacute;ferl&eacute; sur le monde et frapp&eacute; durement l&rsquo;Iran voisin. Nos ravisseurs nous ont rel&acirc;ch&eacute;s tant que nous &eacute;tions en vie, que nous valions encore quelque chose. Co&iuml;ncidence ? La veille, la France annon&ccedil;ait le retrait de 200 soldats suppl&eacute;mentaires d&rsquo;Irak.
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Alexandre Goodarzy : « La Syrie est en train d’agoniser »

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Fild&nbsp;: Vous avez d&eacute;but&eacute; votre carri&egrave;re en Alg&eacute;rie. Quel &eacute;tait votre quotidien dans un pays d&eacute;chir&eacute; entre islamisme et autoritarisme&nbsp;? Bouziane Ahmed Khodja : J&rsquo;ai commenc&eacute; dans les ann&eacute;es 1980. Les journaux &eacute;taient &eacute;tatiques et &eacute;crivaient selon le bon vouloir du gouvernement. Les journalistes ind&eacute;pendants ne pouvaient pas exercer leur travail. Leur quotidien &eacute;tait fait de lutte contre le terrorisme et contre le pouvoir. Il y avait d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute; les islamistes djihadistes, et de l&rsquo;autre les services de s&eacute;curit&eacute; de l&rsquo;&Eacute;tat. Je ne dormais jamais deux soirs de suite au m&ecirc;me endroit. Il ne fallait pas emprunter les m&ecirc;mes itin&eacute;raires, j&rsquo;&eacute;tais surveill&eacute; et j&rsquo;ai &eacute;t&eacute; la cible de trois attentats. En 1997, j&rsquo;ai fond&eacute; mon propre journal, Le Monde aujourd&rsquo;hui. Il &eacute;tait tourn&eacute; vers l&rsquo;international afin de d&eacute;jouer la vigilance de l&rsquo;&Eacute;tat qui voulait nous contr&ocirc;ler, et d&rsquo;ouvrir une porte sur le monde.&nbsp; Derri&egrave;re, le message &eacute;tait p&eacute;dagogique, pour apprendre aux Alg&eacute;riens ce qu&rsquo;&eacute;tait la libert&eacute; d&rsquo;expression, le syndicalisme, la d&eacute;mocratie. En 1999, un nouveau pr&eacute;sident, Bouteflika, a &eacute;t&eacute; &eacute;lu pr&eacute;sident. La population esp&eacute;rait une nouvelle Alg&eacute;rie, avec davantage de libert&eacute;s. Je me suis rendu compte que ce ne serait pas le cas, alors je me suis d&eacute;fini comme opposant. Je n&rsquo;appartenais ni &agrave; un parti ni &agrave; un lobby, j&rsquo;&eacute;tais donc tr&egrave;s courtis&eacute; et l&rsquo;on voulait m&rsquo;acheter. Mais je r&eacute;sistais en r&eacute;pondant que ma libert&eacute; de penser n&rsquo;avait pas de prix. Je d&eacute;rangeais &eacute;norm&eacute;ment&nbsp;: en plus d&rsquo;&ecirc;tre journaliste, gr&acirc;ce &agrave; ma formation en sociolinguistique et en science politique, j&rsquo;avais les instruments n&eacute;cessaires pour analyser la situation et proposer des r&eacute;ponses politiques.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; En 2005, la r&eacute;pression s&rsquo;est accentu&eacute;e. J&rsquo;&eacute;tais contr&ocirc;l&eacute; et suivi en permanence, je ne pouvais plus imprimer, les articles &eacute;taient v&eacute;rifi&eacute;s avant d&rsquo;&ecirc;tre publi&eacute;s, il y avait des agents de s&eacute;curit&eacute; infiltr&eacute;s au sein de mon journal... Une s&eacute;rie de proc&egrave;s a commenc&eacute; pour tenter de laminer mes efforts. J&rsquo;&eacute;tais sans cesse accus&eacute; de diffamation, de manquements &agrave; l&rsquo;honneur envers le pr&eacute;sident, de propos mensongers&hellip; Je me suis retrouv&eacute; toutes les semaines &agrave; compara&icirc;tre devant les juges, pendant deux ans et demi, avec 143 proc&egrave;s. Malgr&eacute; tout cela, je continuais &agrave; &eacute;crire, je luttais avec mon stylo. Un jour une amie m&rsquo;a demand&eacute; pourquoi je restais. Toute l&rsquo;intelligentsia quittait l&rsquo;Alg&eacute;rie et s&rsquo;exilait. J&rsquo;ai r&eacute;pondu &lsquo;&rsquo; Mais c&rsquo;est mon pays. Je ne peux pas l&rsquo;abandonner &lsquo;&rsquo;. &nbsp;&nbsp; Fild&nbsp;: Finalement, vous avez d&eacute;cid&eacute; de quitter l&rsquo;Alg&eacute;rie&nbsp;?&nbsp; 
Bouziane Ahmed Khodja : Un jour de 2007, la police est venue &agrave; mon journal &agrave; 9 heures du matin, avec une vingtaine d&rsquo;hommes. Je devais arr&ecirc;ter toute activit&eacute; de publication. Alors j&rsquo;ai commenc&eacute; &agrave; &eacute;crire pour d&rsquo;autres. L&rsquo;ann&eacute;e suivante, j&rsquo;ai &eacute;t&eacute; convoqu&eacute; par la s&eacute;curit&eacute; militaire, et j&rsquo;ai commenc&eacute; &agrave; y passer mes journ&eacute;es. J&rsquo;avais compris qu&rsquo;il s&rsquo;agissait de m&eacute;thodes d&rsquo;intimidation : j&rsquo;&eacute;tais soit au tribunal, soit dans les bureaux de la s&eacute;curit&eacute;. Et un jour, un colonel m&rsquo;a dit qu&rsquo;il savait o&ugrave; mon fils - alors &acirc;g&eacute; de 11 ans - &eacute;tait scolaris&eacute;. J&rsquo;ai eu le courage de bluffer et de le menacer &agrave; mon tour. Puis j&rsquo;ai fonc&eacute; &agrave; l&rsquo;&eacute;cole, o&ugrave; deux hommes &eacute;taient venus pour le prendre. Par miracle, le directeur l&rsquo;avait cach&eacute;. Le soir m&ecirc;me, j&rsquo;ai d&eacute;cid&eacute; de m&rsquo;enfuir avec ma famille. Il n&rsquo;y avait qu&rsquo;un bateau qui partait pour l&rsquo;Alg&eacute;rie, en direction d&rsquo;Alicante. Je suis arriv&eacute; le lendemain en Espagne. &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;
 Fild&nbsp;: Vous &ecirc;tes consid&eacute;r&eacute; comme l&rsquo;un des meilleurs sp&eacute;cialistes du monde arabe. Pourquoi cette passion pour cette partie du globe ? &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Bouziane Ahmed Khodja : Pendant une quinzaine d&rsquo;ann&eacute;es, j&rsquo;ai arpent&eacute; le Proche et Moyen Orient, et mon int&eacute;r&ecirc;t s&rsquo;est centr&eacute; sur cette r&eacute;gion du monde. Avec l&rsquo;islamisme qui commen&ccedil;ait &agrave; se manifester dans les ann&eacute;es 1980, je me suis int&eacute;ress&eacute; a beaucoup d&rsquo;&Eacute;tats arabes, et j&rsquo;ai eu l&rsquo;opportunit&eacute; d&rsquo;interviewer beaucoup de chefs, des &eacute;mirs, des pr&eacute;sidents ou des ministres.&nbsp; J&rsquo;ai essay&eacute; de comprendre ce ph&eacute;nom&egrave;ne, je me suis rendu dans toutes les capitales arabes. J&rsquo;ai &eacute;galement travaill&eacute; sur les confr&eacute;ries religieuses&hellip; J&rsquo;ai suivi cet islamisme politique latent et ses r&eacute;seaux dormants qui n&rsquo;arrivaient pas &agrave; s&rsquo;exprimer &agrave; travers des partis politiques ou des associations.
Fild&nbsp;: Quelle est votre conception du journalisme en 2021&nbsp;? &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Bouziane Ahmed Khodja :&nbsp; Il y a trois principes fondamentaux que le journalisme a perdu&nbsp;: la libert&eacute; d&rsquo;expression, l&rsquo;ind&eacute;pendance et le droit du public &agrave; une information de qualit&eacute;, v&eacute;rifi&eacute;e et non-orient&eacute;e. Le r&ocirc;le du journaliste doit se faire selon ces trois mesures. Le journalisme et la d&eacute;mocratie sont interd&eacute;pendants, l&rsquo;un ne va pas sans l&rsquo;autre. Le contrat qui les lie est inali&eacute;nable. Le journaliste doit &ecirc;tre ind&eacute;pendant de tout appareil id&eacute;ologique de l&rsquo;&Eacute;tat, de lobbys ou de partis. La grande majorit&eacute; des m&eacute;dias qui existent aujourd&rsquo;hui ne le sont pas. Il faut louer et encourager nos confr&egrave;res qui luttent pour cette ind&eacute;pendance, pour travailler avec objectivit&eacute;, sans tenter d&rsquo;influencer qui que ce soit, et de rapporter de l&rsquo;information de terrain. &nbsp;Nous devons aussi r&eacute;apprendre &agrave; &eacute;crire&nbsp;! Aujourd&rsquo;hui, il y a un ph&eacute;nom&egrave;ne inqui&eacute;tant qui est celui du commentaire. On a oubli&eacute; que notre m&eacute;tier a pour but de rapporter l&rsquo;information, d&rsquo;informer et non pas de penser &agrave; la place du public. Un journaliste ne doit plus s&rsquo;autocensurer, il doit acqu&eacute;rir de nouveau cette libert&eacute; d&rsquo;expression. Si je dois informer le public d&rsquo;un fait, je le traduis tel qu&rsquo;il s&rsquo;est pass&eacute;. Je ne vais pas apporter des limites &agrave; mon information parce que cela d&eacute;plaira &agrave; tel politique, ou &agrave; un r&eacute;dacteur en chef.&nbsp;&nbsp;
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Bouziane Ahmed Khodja : « Journalisme et démocratie sont interdépendants »

Bertrand Soubelet : "La France a besoin de retrouver le calme et la confiance"

Fild&nbsp;: Vous avez &eacute;crit un <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Et_si_l_effondrement_avait_d%C3%A9j%C3%A0_eu_lieu-9791020908643-1-1-0-1.html">ouvrage</a> sur l&rsquo;effondrement de nos soci&eacute;t&eacute;s. La crise actuelle en est-elle responsable ? 
Roland Gori&nbsp;: Je ne parlerai pas de &laquo;&nbsp;crise&nbsp;&raquo; au singulier car cela risquerait de nous faire croire que nous sommes face &agrave; un ph&eacute;nom&egrave;ne transitoire dont le d&eacute;nouement va nous permettre de &laquo;&nbsp;vivre comme avant&nbsp;&raquo;. Cette illusion dangereuse et commun&eacute;ment partag&eacute;e d&eacute;nie le caract&egrave;re in&eacute;dit de ce qui nous arrive&nbsp;: une impr&eacute;paration gravissime face aux catastrophes qui nous attendent du fait de l&rsquo;anthropoc&egrave;ne. La pand&eacute;mie de Covid-19 est une &laquo;&nbsp;sentinelle de l&rsquo;imminence&nbsp;&raquo; qui nous enseigne que nous sommes entr&eacute;s dans une nouvelle p&eacute;riode, une &laquo;&nbsp;transition &eacute;pid&eacute;mique&nbsp;&raquo; de l&rsquo;histoire de l&rsquo;humanit&eacute;. Les chocs civilisationnels ont toujours &eacute;t&eacute; corr&eacute;l&eacute;s &agrave; des &laquo;&nbsp;temp&ecirc;tes microbiennes&nbsp;&raquo; (Rome, les Mayas, les Vikings&hellip;). Cette &eacute;pid&eacute;mie n&rsquo;est une surprise que pour ceux qui veulent se disculper d&rsquo;avoir particip&eacute; &agrave; sa fabrication. Elle est le sympt&ocirc;me d&rsquo;une maladie structurale de notre civilisation. Par nos modes de vie, notre insouciance et notre amn&eacute;sie environnementale, par la modification de notre biotope et les d&eacute;forestations, l&rsquo;industrialisation de l&rsquo;agro-alimentaire, par l&rsquo;urbanisation et la b&eacute;tonisation du monde, par les exploitations &eacute;hont&eacute;es des ressources naturelles et humaines, nous avons cr&eacute;&eacute; les conditions d&rsquo;un retour des maladies infectieuses, en particulier des zoonoses.
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Fild&nbsp;: Vous avez aussi publi&eacute; chez le m&ecirc;me &eacute;diteur <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-La_fabrique_des_imposteurs-386-1-1-0-1.html">La fabrique des imposteurs</a>. La crise du Covid-19 a-t-elle justement mis en lumi&egrave;re des imposteurs&nbsp;? 
Roland Gori&nbsp;: Chaque soci&eacute;t&eacute; a les imposteurs qu&rsquo;elle m&eacute;rite. L&rsquo;imposteur est un martyr social, une &eacute;ponge vivante de nos valeurs et de nos croyances, un cam&eacute;l&eacute;on. D&eacute;crivez-moi les tactiques mises en place par des imposteurs pour abuser d&rsquo;autrui, obtenir son cr&eacute;dit et sa confiance, et je vous dirai dans quelle soci&eacute;t&eacute; vous &ecirc;tes et quelles sont les valeurs auxquelles elle adh&egrave;re. Hier la religion ou la noblesse des lign&eacute;es, aujourd&rsquo;hui le cr&eacute;dit financier ou d&rsquo;influence que l&rsquo;on peut attribuer &agrave; quelqu&rsquo;un par une pratique du faux dont Disneyland a fait sa marque de fabrique&nbsp;: pour vous faire consommer on vous fait r&ecirc;ver. La politique et les sciences n&rsquo;&eacute;chappent pas &agrave; cette pratique sociale &agrave; la Disneyland. Nous sommes entr&eacute;s dans une &laquo;&nbsp;soci&eacute;t&eacute; du spectacle&nbsp;&raquo; o&ugrave; les informations se vendent comme des marchandises. Ce qui conduit les politiques et les &laquo;&nbsp;experts&nbsp;&raquo; &agrave; vendre &agrave; l&rsquo;opinion publique et &agrave; la cantonade des r&eacute;seaux sociaux et des m&eacute;dias, des parts de march&eacute; de l&rsquo;information. Dans &laquo;&nbsp;une soci&eacute;t&eacute; du spectacle, le vrai est un moment du faux&nbsp;&raquo;, &eacute;crivait Guy Debord<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>. Du coup, entre les mensonges d&rsquo;&Eacute;tat, les v&eacute;rit&eacute;s du jour et les th&egrave;ses &laquo;&nbsp;complotistes&nbsp;&raquo;, la p&eacute;riode a &eacute;t&eacute; propice au d&eacute;veloppement des impostures et des imposteurs. Ce qui n&rsquo;a fait qu&rsquo;accro&icirc;tre les sentiments de panique et de sid&eacute;ration des citoyens dans une situation d&rsquo;anomie sociale, de perte de rep&egrave;res o&ugrave; la parole d&rsquo;autorit&eacute; s&rsquo;est discr&eacute;dit&eacute;e davantage.
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Fild&nbsp;: Depuis un an, nous sommes priv&eacute;s de certaines libert&eacute;s. &Agrave; l&rsquo;aune de cette exp&eacute;rience, l&rsquo;&ecirc;tre humain peut-il s&rsquo;&eacute;panouir dans ces conditions&nbsp;? 
Roland Gori&nbsp;: La libert&eacute; est d&rsquo;abord et avant tout un &laquo;&nbsp;pouvoir d&rsquo;agir&nbsp;&raquo;. Or, nous en sommes priv&eacute;s depuis un an dans le grain le plus t&eacute;nu de nos existences et au quotidien. Mais la privation de libert&eacute; ne s&rsquo;arr&ecirc;te pas aux mouvements dans l&rsquo;espace auxquels on la r&eacute;duit parfois. &laquo;&nbsp;La libert&eacute; requiert la pr&eacute;sence d&rsquo;autrui&nbsp;&raquo; &eacute;crivait Hannah Arendt, et, - c&rsquo;est le point important -, il n&rsquo;y a pas de vraie libert&eacute; sans le partage sensible et la reconnaissance symbolique des autres. Il n&rsquo;y a que de l&rsquo;individualisme de masse qui conduit &agrave; l&rsquo;extr&ecirc;me solitude des vivants et des mourants. Je veux dire par l&agrave; que ce sont moins les &laquo;&nbsp;mesures barri&egrave;res&nbsp;&raquo; qui nous ont priv&eacute;s de notre libert&eacute; que la mani&egrave;re autoritaire, arrogante et parfois peu consistante dont elles ont &eacute;t&eacute; d&eacute;cr&eacute;t&eacute;es. Cette mani&egrave;re de faire n&rsquo;a rien &agrave; envier aux r&eacute;gimes autoritaires qui proc&egrave;dent par la gestion tyrannique des comportements de leurs populations. Je dirai d&rsquo;ailleurs que cette mani&egrave;re de faire n&rsquo;est pas plus rassurante quand les restrictions sanitaires sont lev&eacute;es ou que le pouvoir tarde &agrave; les prendre.
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Fild&nbsp;: Comment concilier la protection des plus fragiles et la l&eacute;gitime aspiration &agrave; revenir &agrave; une vie normale pour le plus grand nombre&nbsp;? Est-ce m&ecirc;me possible&nbsp;? 
Roland Gori&nbsp;: Je n&rsquo;ai pas de rem&egrave;de miracle, mais je crois qu&rsquo;il faut se rappeler constamment cette exigence de solidarit&eacute; et de fraternit&eacute; impos&eacute;e par les &eacute;pid&eacute;mies tr&egrave;s t&ocirc;t soulign&eacute;e par l&rsquo;un des meilleurs fondateurs de la microbiologie infectieuse, Charles Nicolle, qui &eacute;crivait en 1933&nbsp;: &laquo;&nbsp;la connaissance des maladies infectieuses enseigne aux hommes qu&rsquo;ils sont fr&egrave;res et solidaires. Nous sommes fr&egrave;res parce que le m&ecirc;me danger nous menace, solidaires parce que la contagion nous vient le plus souvent de nos semblables. Nous sommes aussi, &agrave; ce point de vue, quels que soient nos sentiments vis-&agrave;-vis d&rsquo;eux, solidaires des animaux, surtout des b&ecirc;tes domestiques [&hellip;qui] portent souvent les germes de nos infections.<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>&raquo; &nbsp;Ce qui veut dire qu&rsquo;au lieu de mettre en comp&eacute;tition les pays par un nationalisme vaccinal et sanitaire dangereux, il faut favoriser la coop&eacute;ration et doter la mondialisation marchande et financi&egrave;re des dispositifs de protection sociale et sanitaire qui lui manquent. Il faut restructurer l&rsquo;OMS, la nettoyer de ses contaminations politiques et accroitre ses moyens d&rsquo;intervention. Au niveau des nations, il faut aussi accepter l&rsquo;humilit&eacute; et tirer les le&ccedil;ons des exp&eacute;riences faites dans tous les autres pays. Il est ridicule en France de ne pas se laisser enseigner par les mesures sanitaires qui ont march&eacute; en Asie ou en Isra&euml;l. L&rsquo;Europe doit aussi cesser d&rsquo;&ecirc;tre une f&eacute;d&eacute;ration qui emp&ecirc;che par des r&egrave;gles formelles et marchandes contraignantes de devenir une unit&eacute; politique &agrave; m&ecirc;me de contribuer &agrave; la lutte contre des microbes qui ignorent les fronti&egrave;res. Au niveau du pays, il convient de mobiliser davantage les citoyens, les &eacute;lus locaux et les responsables d&rsquo;associations pour aider les plus fragiles et partager les id&eacute;es comme les exp&eacute;riences. Ce qui suppose aussi de r&eacute;tablir la responsabilit&eacute; politique et l&rsquo;autorit&eacute; morale sans concessions d&eacute;magogiques, &eacute;lectoralistes ou populistes. Cette mobilisation citoyenne doit davantage s&rsquo;appuyer sur les services publics et d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t g&eacute;n&eacute;ral de la Nation, et sans faiblesse veiller &agrave; faire respecter les mesures adopt&eacute;es par la d&eacute;cision d&eacute;mocratique.
Fild&nbsp;: Comment sortir de cette crise sanitaire par le haut&nbsp;?
Roland Gori&nbsp;: Il faut distinguer le court et le moyen terme. Les deux temps supposent une prise de conscience et des d&eacute;cisions rapides en ayant toujours &agrave; l&rsquo;esprit que les &eacute;pid&eacute;mies sont des sentinelles de catastrophes imminentes et qu&rsquo;&agrave; ne rien faire nous risquons de voir disparaitre notre civilisation, voire notre esp&egrave;ce. En ce qui concerne le court-terme, il faut arr&ecirc;ter au plus vite cet autoritarisme n&eacute;olib&eacute;ral qui prend solitairement des d&eacute;cisions autour de la &laquo;&nbsp;corbeille&nbsp;&raquo; de la Bourse et des sondages d&rsquo;opinion. Il faut arr&ecirc;ter d&rsquo;instrumentaliser les sciences au moyen des &laquo;&nbsp;expertises&nbsp;&raquo; pour justifier des d&eacute;cisions solitaires. Il faut sortir de la soci&eacute;t&eacute; d&rsquo;imposture et avoir le courage de la v&eacute;rit&eacute;. La v&eacute;rit&eacute; aujourd&rsquo;hui, c&rsquo;est qu&rsquo;il nous faut vacciner rapidement et massivement. Rapidement car il existe en infectiologie un principe dit de la Reine Rouge qui r&eacute;v&egrave;le une course de vitesse entre l&rsquo;h&ocirc;te (le vivant) et le microbe (ici le virus), chacun s&rsquo;adaptant aux strat&eacute;gies et aux mutations de l&rsquo;autre. Les &laquo;&nbsp;variants&nbsp;&raquo; ne sont que le r&eacute;sultat de cette co&eacute;volution entre le virus et nous. Si nous perdons la course, nous sommes morts, c&rsquo;est-&agrave;-dire que les vaccins seront sans cesse d&eacute;pass&eacute;s par un virus qui renforcera son pouvoir de nuisance et de contagion. Or, si nous comparons les taux de production des vaccins et l&rsquo;usage de la vaccination, nous constatons un &eacute;go&iuml;sme national incroyablement myope et dangereux. Les pays anglo-saxons (USA et RU) utilisent les 100% de leurs productions de vaccins, l&rsquo;Europe est le &laquo;&nbsp;dindon&nbsp;&raquo; de la farce, l&rsquo;Afrique est abandonn&eacute;e. C&rsquo;est absurde. Le virus mutera, et les &laquo;&nbsp;prot&eacute;g&eacute;s&nbsp;&raquo; ne le seront plus, &agrave; moins de s&rsquo;isoler d&eacute;finitivement des autres qui risquent d&rsquo;&ecirc;tre tent&eacute;s par des r&eacute;torsions plus violentes. Il faut donc dans un premier temps peser politiquement sur le Big Pharma qui n&rsquo;a qu&rsquo;un int&eacute;r&ecirc;t relatif &agrave; laisser ses futurs clients mourir, et &agrave; terme &agrave; cr&eacute;er des p&ocirc;les publics du m&eacute;dicament &agrave; m&ecirc;me de soustraire certains biens &agrave; la marchandisation.
&Agrave; long terme, les mesures qui s&rsquo;imposent peuvent se r&eacute;sumer en une phrase&nbsp;: en finir avec un capitalisme n&eacute;olib&eacute;ral mondialis&eacute; qui menace la plan&egrave;te autant que la survie de l&rsquo;humanit&eacute;. Comment y parvenir&nbsp;? C&rsquo;est une autre histoire.
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<a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> Guy Debord, La Soci&eacute;t&eacute; du Spectacle (1967), Paris, Gallimard, 1992.
<a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> Charles Nicolle, 1933, Destin des maladies infectieuses, Paris, PUF, 2012, p 21.
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Roland Gori : « Il faut vacciner rapidement et massivement sinon nous sommes morts » !

Fild&nbsp;: Pourquoi avez-vous d&eacute;cid&eacute; d&rsquo;&eacute;crire un livre sur le courage et pas sur une autre vertu ? 
Patrick Wajsman&nbsp;: Depuis que je m&lsquo;int&eacute;resse &agrave; la vie publique, j&rsquo;ai toujours pens&eacute; que le courage &eacute;tait la premi&egrave;re des vertus politiques. Un jour, Alexandre de Marenches, un homme que j&rsquo;aimais beaucoup et qui a dirig&eacute; pendant 11 ann&eacute;es nos services secrets, a prononc&eacute; une phrase qui m&rsquo;a touch&eacute;&nbsp;: &laquo;&nbsp;Ceux qui n&rsquo;ont pas de courage ne savent pas ce qu&rsquo;ils perdent &raquo;. Je me suis dit aussit&ocirc;t que j&rsquo;allais &eacute;crire un livre &ndash; avec mon ami Jean Veil &ndash; sur les plus belles citations relatives &agrave; cette vertu. &Agrave; mes yeux, il s&rsquo;agit d&rsquo;une modeste contribution &agrave; la salubrit&eacute; publique.
Fild&nbsp;: Vous dites que, pour &ecirc;tre un grand homme, il faut disposer des trois &laquo;&nbsp;C&nbsp;&raquo;. &Agrave; savoir le Cerveau, le C&oelig;ur et le Courage. Lequel de ces trois &eacute;l&eacute;ments manque le plus aux dirigeants actuels&nbsp;?
Patrick Wajsman : Le troisi&egrave;me &laquo; C &raquo;, bien s&ucirc;r. On pourrait d&rsquo;ailleurs allonger la liste en ajoutant un quatri&egrave;me &laquo; C &raquo; &mdash; le Charisme &mdash; et un cinqui&egrave;me &mdash; la Chance, qu&rsquo;il faut savoir apprivoiser. Aristote disait que &laquo;&nbsp;le courage est la premi&egrave;re des qualit&eacute;s humaines car elle garantit toutes les autres&nbsp;&raquo;. Il voulait dire qu&rsquo;elle donne du prix &agrave; toutes les autres vertus.
Certes, nous ne sommes plus &agrave; l&rsquo;&eacute;poque o&ugrave; l&rsquo;on croisait des figures comme Churchill, de Gaulle, Sadate ou Reagan. Mais il y a encore des chefs d&rsquo;&Eacute;tat qui ont des attitudes courageuses, m&ecirc;me si elles ne se situent pas au m&ecirc;me niveau. Il ne faut pas oublier que le courage se r&eacute;v&egrave;le souvent au contact des circonstances. Apr&egrave;s tout, avant de devenir des r&eacute;f&eacute;rences exemplaires, Churchill &eacute;tait plut&ocirc;t un jeune homme de bonne famille, Jean Moulin un dandy, Clemenceau un prince du Tout-Paris&hellip; Parfois la rencontre entre un homme et des circonstances fa&ccedil;onne un destin.
Mais j&rsquo;aimerais vous faire remarquer qu&rsquo;il n&rsquo;y a pas que les dirigeants qui soient capables de courage. Il y a &eacute;galement les peuples et les citoyens: quand les Bi&eacute;lorusses descendent dans la rue pour demander la d&eacute;mission du Pr&eacute;sident Loukachenko, quand les &eacute;tudiants de Hong Kong continuent de manifester malgr&eacute; la r&eacute;pression inique que leur inflige la police pro-P&eacute;kin, quand la soci&eacute;t&eacute; civile turque s&rsquo;insurge contre ce dictateur m&eacute;galomane qu&rsquo;est devenu Erdogan en sachant qu&rsquo;elle risque des ann&eacute;es de prison, quand le peuple birman offre ses poitrines &agrave; la mitraille de g&eacute;n&eacute;raux putschistes, ce sont bien l&agrave; des actes courageux, voire h&eacute;ro&iuml;ques. Enfin, pour ce qui est des figures embl&eacute;matiques, comment ne pas admirer la r&eacute;sistance d&rsquo;un Navalny face &agrave; un Vladimir Poutine qui a tent&eacute; de le faire empoisonner, comme chacun sait.
Fild&nbsp;: Parmi les nombreux dirigeants du monde que vous avez pu rencontrer, lesquels incarnent le plus la conception que vous vous faites du courage&nbsp;?
Patrick Wajsman : Ceux qui ont obtenu le Prix du Courage politique que d&eacute;cerne notre revue&nbsp;: Anouar el-Sadate, le Pr&eacute;sident &eacute;gyptien qui a fait la paix avec Isra&euml;l&nbsp;; Frederik de Klerk, le Pr&eacute;sident sud-africain qui, bien qu&rsquo;il f&ucirc;t un pur produit de l&rsquo;establishment pro- Apartheid, a d&eacute;construit ce syst&egrave;me inique&nbsp;; et Jean-Paul II pour sa contribution au d&eacute;mant&egrave;lement du communisme en Europe - &nbsp;avec Ronald Reagan, ne l&rsquo;oublions pas - . &Agrave; l&rsquo;&eacute;poque, l&rsquo;immense majorit&eacute; des experts &eacute;tait convaincue que la domination sovi&eacute;tique sur une partie du Vieux Continent &eacute;tait irr&eacute;versible. La volont&eacute; et le courage ont triomph&eacute; de ce scepticisme. S&eacute;n&egrave;que disait&nbsp;: &laquo;&nbsp;Ce n&rsquo;est pas parce que les choses sont difficiles que nous n&rsquo;osons pas&nbsp;; c&rsquo;est parce que nous n&rsquo;osons pas qu&rsquo;elles sont difficiles&nbsp;&raquo;. Je me r&eacute;jouis que certaines personnalit&eacute;s pensent de cette mani&egrave;re et consid&egrave;rent que l&rsquo;impossible prend juste un peu plus de temps. M&ecirc;me quand l&rsquo;esp&eacute;rance semble avoir disparu&nbsp;: c&rsquo;est la nuit qu&rsquo;il est beau de croire &agrave; la lumi&egrave;re&hellip;
Fild&nbsp;: Dans votre livre, vous citez Soljenitsyne qui, dans son fameux discours de Harvard, n&rsquo;h&eacute;sitait pas &agrave; affirmer&nbsp;: &laquo;&nbsp;Le d&eacute;clin du courage a toujours &eacute;t&eacute; consid&eacute;r&eacute; comme le signe avant-coureur de la fin&nbsp;&raquo;. Quels sont, selon vous, les sympt&ocirc;mes de ce d&eacute;clin ? 
Patrick Wajsman : Je pense que c&rsquo;est une propension &agrave; l&rsquo;accommodement. C&rsquo;est le fait de pr&eacute;f&eacute;rer syst&eacute;matiquement le statu quo plut&ocirc;t que la justice. Les faux r&eacute;alistes pr&eacute;tendent que rien ne vaut la stabilit&eacute;, l&rsquo;ordre &eacute;tabli. Les gens courageux, &agrave; l&rsquo;inverse, estiment que rien ne vaut la justice, ne serait-ce que parce qu&rsquo;il n&rsquo;y a pas de stabilit&eacute; durable sans un minimum d&rsquo;&eacute;quit&eacute;.
Le d&eacute;clin que vous &eacute;voquiez &agrave; l&rsquo;instant se traduit par une incapacit&eacute; &agrave; s&rsquo;insurger contre des situations ou des pratiques injustes. C&rsquo;est une sorte de somnolence de la conscience morale. Par exemple, comment peut-on, sans un battement de cils, serrer la main d&rsquo;un homme comme le Pr&eacute;sident Erdogan qui exerce des chantages &agrave; l&rsquo;encontre de l&rsquo;Europe, qui viole les r&egrave;gles internationales, qui emprisonne des dizaines de milliers de ses concitoyens pour la simple raison qu&rsquo;ils osent ne pas penser comme lui&nbsp;? Comment peut-on serrer la main de Bachar el-Assad qui a provoqu&eacute; la mort de 500 000 de ses compatriotes et qui noie sous les gaz toxiques les populations civiles de son propre pays, y compris les enfants&nbsp;? Comment peut-on conserver le silence lorsqu&rsquo;on voit le Pr&eacute;sident chinois d&eacute;velopper des pratiques g&eacute;nocidaires au Xinjiang contre le Ou&iuml;ghours&nbsp;? Si l&rsquo;on reste silencieux, alors on &eacute;tablit une sorte de sym&eacute;trie morale entre le Bien et le Mal. Et cela aussi c&rsquo;est le d&eacute;but du d&eacute;clin car &laquo;&nbsp;quand tout se vaut, rien ne vaut&nbsp;&raquo;.
Fild&nbsp;: Pensez-vous que les Fran&ccedil;ais sont un peuple courageux ou r&eacute;sign&eacute; ? 
Patrick Wajsman : Les Fran&ccedil;ais, comme la plupart des peuples, sont courageux quand on leur renvoie une image valorisante d&rsquo;eux-m&ecirc;mes. Quand vous vous adressez &agrave; la meilleure part d&rsquo;un &ecirc;tre humain et que vous lui renvoyez une image positive de ce qu&rsquo;il est ou de ce qu&rsquo;il peut &ecirc;tre, cette personne, de ce seul fait, se sent capable d&rsquo;atteindre les sommets et d&rsquo;accrocher son char &agrave; une &eacute;toile. Pendant la seconde Guerre Mondiale, il y avait ceux qui s&rsquo;accommodaient de l&rsquo;Occupation et ceux qui &eacute;taient, &agrave; des degr&eacute;s divers, dans la R&eacute;sistance. C&rsquo;&eacute;tait pourtant le m&ecirc;me peuple. Vous aurez compris, &agrave; travers nos libres propos, que je crois profond&eacute;ment &agrave; l&rsquo;exemplarit&eacute;. Alors, oui, finalement, je pense que les Fran&ccedil;ais sont courageux lorsqu&rsquo;on leur dit et lorsqu&rsquo;on leur montre qu&rsquo;il n&rsquo;y a rien de tel que le courage.&nbsp;
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30/03/2021 - Toute reproduction interdite

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Le courage a-t-il déserté la vie publique ?

Fild&nbsp;: Quel r&ocirc;le ont jou&eacute; les Gilets jaunes dans la repr&eacute;sentation de la ruralit&eacute;&nbsp;?
Anthony Cortes&nbsp;: Avec le recul, nous pouvons porter un autre regard sur le mouvement des Gilets Jaunes. Bien s&ucirc;r, il y a eu un fracas, un chaos. Parfois aussi, un immense d&eacute;sordre id&eacute;ologique. Apr&egrave;s les revendications tr&egrave;s concr&egrave;tes du d&eacute;but, notamment en faveur d'un pouvoir d'achat &agrave; la hausse, la lutte contre le capitalisme et une dose d'identitarisme sont venus noyer le mouvement dans une soupe indigeste. La faute &agrave; un noyautage venu de l'extr&ecirc;me gauche comme de l'extr&ecirc;me droite. Toutefois, faisons le choix de nous concentrer sur le c&oelig;ur de cette mobilisation&nbsp;: la qu&ecirc;te d'une dignit&eacute; retrouv&eacute;e par des gens ordinaires, le plus souvent venus de la France p&eacute;riph&eacute;rique et de l'une de ses composantes&nbsp;: la ruralit&eacute;. Ce mouvement a montr&eacute; une force de caract&egrave;re de ces Fran&ccedil;ais modestes ou &eacute;loign&eacute;s des lieux de pouvoirs que les m&eacute;tropolitains n'imaginaient pas, ou en tout cas qu'ils ne voulaient pas voir. On pr&eacute;f&eacute;rait juger cette France d&eacute;pass&eacute;e pour mieux la disqualifier et &agrave; terme l'invisibiliser. Mais non, cette France &eacute;tait l&agrave;, encore et toujours. Elle a montr&eacute; qu'elle existait, d'abord sur les ronds-points en cr&eacute;ant une sociabilit&eacute; et une solidarit&eacute; nouvelle, dans ses assembl&eacute;es populaires aussi, o&ugrave; elle a men&eacute; une v&eacute;ritable r&eacute;flexion politique,&nbsp;puis dans les grandes avenues.
 Fild&nbsp;: Pensez-vous que la ruralit&eacute; soit en mesure de contester la supr&eacute;matie des villes&nbsp;?
Anthony Cortes&nbsp;: Je crois qu'elle est capable de cr&eacute;er un contre-mod&egrave;le concurrentiel. Il ne faut pas entendre par l&agrave; qu'elle peut et doit se mettre au m&ecirc;me niveau. La ruralit&eacute; doit &eacute;viter &agrave; tout prix d'implanter les codes de la ville dans ses villages. Elle doit creuser son propre sillon, travailler &agrave; une alternative. Et elle y &oelig;uvre d'ores et d&eacute;j&agrave;. C&rsquo;est ce que j'ai pu voir tout au long de mon enqu&ecirc;te. Il y a ces communes qui mettent toutes les conditions en place pour jouir d'une autonomie alimentaire et/ou &eacute;nerg&eacute;tique. Certaines placent l&rsquo;&eacute;cologie en priorit&eacute;, notamment en travaillant sur la construction d'&eacute;co-quartiers ou de centrales solaires, et cr&eacute;ent des emplois verts. D&rsquo;autres communes mettent en place un nombre impressionnant d'initiatives pour rassembler et souder leurs habitants autour d'objectifs collectifs dans le but de cr&eacute;er un projet commun. C'est tout le contraire de la ville, qui est polluante, d&eacute;shumanis&eacute;e, individualiste, d&eacute;sincarn&eacute;e et d&eacute;racin&eacute;e. Dans ces conditions, en jouant sur ses atouts et sur ses diff&eacute;rences, la ruralit&eacute; peut contester la supr&eacute;matie des villes.
 Fild&nbsp;: Comment expliquer le d&eacute;dain d&rsquo;une partie de la population envers les campagnes ?
Anthony Cortes&nbsp;: La France des villes et celle des villages, pour sch&eacute;matiser, sont deux France compl&egrave;tement diff&eacute;rentes pour ne pas dire en opposition. Il y a d'un c&ocirc;t&eacute; des&nbsp;&laquo;&nbsp;territoires-monde&nbsp;&raquo;, qui ne jurent que par les &eacute;changes et le grand monde, et de l'autre des territoires que l'on pourrait dire&nbsp;&laquo;&nbsp;enracin&eacute;s&nbsp;&raquo;&nbsp;ou&nbsp;&laquo;&nbsp;locaux&nbsp;&raquo; qui ont r&eacute;ussi &agrave; conserver leur identit&eacute; et leur culture, proche de ce qu'on appelait autrefois la France paysanne. La population des villes - bien que je ne souhaite pas l'essentialiser - se pense dans la marche du progr&egrave;s, dans la marche du temps, donc au centre du jeu. Et c'est bien normal, toutes les politiques publiques sont pens&eacute;es pour les m&eacute;tropoles. En face, les campagnes leur paraissent ancr&eacute;es dans un temps d&eacute;pass&eacute;. D'ailleurs, quand on parle avec des citadins de la campagne, on a droit au mieux &agrave; une sorte de tendresse d&eacute;plac&eacute;e ou au pire &agrave; des qualificatifs du type&nbsp;&laquo;&nbsp;p&eacute;tainiste&nbsp;&raquo;,&nbsp;&laquo;&nbsp;pass&eacute;iste&nbsp;&raquo;&nbsp;ou&nbsp;&laquo;&nbsp;d&eacute;pass&eacute;e&nbsp;&raquo;. Pour moi, ce d&eacute;dain est une illustration d'un &eacute;ni&egrave;me clivage, peut-&ecirc;tre celui qui agitera notre soci&eacute;t&eacute; dans les temps &agrave; venir, entre les gens de&nbsp;&laquo;&nbsp;partout&nbsp;&raquo;&nbsp;et les gens de&nbsp;&laquo;&nbsp;quelque part&nbsp;&raquo;, pour reprendre les mots de l'essayiste David Goodhart.
 Fild&nbsp;: Pourquoi les difficult&eacute;s des banlieues ont compl&egrave;tement &eacute;clips&eacute; celles des campagnes&nbsp;?
Anthony Cortes&nbsp;: Nous devons cela &agrave; la couverture m&eacute;diatique des difficult&eacute;s sociales et &eacute;conomiques fran&ccedil;aises. Depuis le d&eacute;but des ann&eacute;es 90 et les premi&egrave;res &eacute;meutes des banlieues rapport&eacute;es sur nos &eacute;crans de t&eacute;l&eacute;vision, nos m&eacute;dias se tournent presque exclusivement vers ces quartiers pour illustrer le mal-&ecirc;tre, le d&eacute;sarroi et les difficult&eacute;s des populations les plus fragiles...&nbsp;
Bien s&ucirc;r, il ne s'agit pas de cr&eacute;er une hi&eacute;rarchie des territoires souffrants de notre pays, mais il est insupportable de voir la ruralit&eacute; &eacute;clips&eacute;e alors qu'elle est malheureusement le premier&nbsp;territoire des difficult&eacute;s. C&rsquo;est celui o&ugrave; on trouve le plus fort taux de pauvret&eacute;, de ch&ocirc;mage... Cet oubli m&eacute;diatique - que l'on doit certainement &agrave; l'origine g&eacute;ographique, sociale et &agrave; l'identit&eacute; politique des journalistes - est une violence suppl&eacute;mentaire. On ajoute sur le dos de ces populations, l'oubli &agrave; la mis&egrave;re.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Fild&nbsp;: Pourquoi la d&eacute;fense de la ruralit&eacute; est-elle un combat de la droite&nbsp;? Anthony Cortes&nbsp;: La ruralit&eacute; ne devrait pas &ecirc;tre un combat de droite. En tout cas pas uniquement. En effet, dans ces communes, on trouve des signes de valeurs ch&egrave;res&nbsp;&agrave; la gauche&nbsp;du point de vue historique : la solidarit&eacute;, la fraternit&eacute;, et bien souvent une dose d'insoumission. D'ailleurs, quel meilleur moteur pour la lutte &eacute;cologiste que ces campagnes et leur potentiel vert&nbsp;? Je me dois &eacute;galement de dire que, dans le m&ecirc;me temps, les campagnes repr&eacute;sentent LA terre du nouveau prol&eacute;tariat fran&ccedil;ais, les ouvriers constituant la premi&egrave;re cat&eacute;gorie d'actifs des zones rurales. Pourtant, la gauche a abandonn&eacute; peu &agrave; peu ce terrain et ce combat.&nbsp;
Elle a pr&eacute;f&eacute;r&eacute; en faire don &agrave; la droite et &agrave; l'extr&ecirc;me droite tout comme la la&iuml;cit&eacute; ou le protectionnisme &eacute;conomique. D'ailleurs, le&nbsp;&laquo;&nbsp;bouclier rural&nbsp;&raquo;&nbsp;que le Parti socialiste d&eacute;fendait autrefois est d&eacute;sormais l&rsquo;un des points majeurs du programme du... Rassemblement national. Si la ruralit&eacute; est devenue un combat de droite, cela est d&ucirc; &agrave; une &eacute;ni&egrave;me d&eacute;mission de la gauche sur ce sujet.
 Fild&nbsp;: Quel est l&rsquo;impact de la pand&eacute;mie sur la ruralit&eacute;&nbsp;? Pensez-vous qu&rsquo;elle tient l&agrave; sa revanche sur les villes&nbsp;?
Anthony Cortes&nbsp;: Sa revanche, elle l'a d'abord obtenu par le changement de regard des citadins. En effet, laa Covid a mis en relief les d&eacute;fauts des zones denses en population (largement touch&eacute;es par l'&eacute;pid&eacute;mie) et les qualit&eacute;s de la ruralit&eacute;, plus &eacute;pargn&eacute;e, comme le fait de jouir de grands espaces et davantage de lien social, m&ecirc;me en temps de confinement. Cette crise sanitaire a aussi provoqu&eacute; une r&eacute;flexion profonde chez les citadins : &laquo; ma vie a-t-elle un sens dans ces espaces b&eacute;tonn&eacute;s et sans &acirc;me ? &raquo; En face, la ruralit&eacute; propose de la verdure, du sens, et la possibilit&eacute; d'&ecirc;tre un maillon plut&ocirc;t qu'un &eacute;lectron perdu... En clair, la Covid - comme les risques &eacute;pid&eacute;miques &agrave; venir annonc&eacute;s par les &eacute;pid&eacute;miologistes - montre nos campagnes comme l'espace le plus moderne qui soit. C'est une belle revanche mais ce n&rsquo;est qu'une premi&egrave;re &eacute;tape vers un &eacute;ventuel renouveau.
 Fild&nbsp;: Pensez-vous que les tentatives d&rsquo;autonomisation des campagnes ont de l&rsquo;avenir face aux d&eacute;ficiences &eacute;tatiques&nbsp;?&nbsp;
Anthony Cortes&nbsp;: Disons que ces tentatives d'autonomisation sont des r&eacute;actions avant d'&ecirc;tre des projets de long terme. Dans les villages que j'ai travers&eacute;s, on ne s'imagine pas exister et durer comme une communaut&eacute; anarchiste (bien que l'on puisse faire quelques parall&egrave;les avec l'exp&eacute;rience des villages anarchistes espagnols du d&eacute;but du XXe si&egrave;cle). On r&eacute;agit simplement dans un premier temps &agrave; l'oubli, au m&eacute;pris, en employant ses propres moyens, ses propres atouts et ses propres forces pour refuser la mort. Et cela vient autant de simples citoyens que d'&eacute;lus. Pour autant, m&ecirc;me s'il existe une v&eacute;ritable tristesse face &agrave; l'abandon de l'&Eacute;tat, on se refuse pour le moment &agrave; revendiquer une marche s&eacute;par&eacute;e. On se dit toujours fiers d'&ecirc;tre Fran&ccedil;ais, d'appartenir &agrave; cette Histoire, on attend toujours que la r&eacute;ponse vienne de l'&eacute;chelon central. On ne conteste que tr&egrave;s peu le mod&egrave;le jacobin. Simplement, il faut bien survivre. Et pour survivre, il faut se r&eacute;inventer. Et cela passe, pour le moment, faute de mieux,&nbsp;par l'autonomie.&nbsp;
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Le réveil de la France oubliée, ou la revanche de la ruralité !  		

Fild&nbsp;: D&rsquo;o&ugrave; vient l&rsquo;id&eacute;e de l&rsquo;Afro&nbsp;?
David Nataf&nbsp;: L&rsquo;Afro est n&eacute; &agrave; Berlin en 2000 de l&rsquo;id&eacute;e du conservateur du mus&eacute;e d&rsquo;art moderne de la ville, le Canadien Baruch Gottlieb, et de son ami et artiste S&eacute;n&eacute;galais Mansour Ciss. Ce dernier a cr&eacute;&eacute; un immense billet de 50 Afros qu&rsquo;il a frapp&eacute; du visage de L&eacute;opold S&eacute;dar Senghor (premier pr&eacute;sident de la R&eacute;publique du S&eacute;n&eacute;gal, ndlr). Il en a produit 1000 copies et est all&eacute; voir les chefs d&rsquo;&Eacute;tats africains en leur disant&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;Afrique doit se lib&eacute;rer du joug &eacute;conomique et financier [des grandes puissances, ndlr]&nbsp;&raquo;. Au d&eacute;part, l&rsquo;Afro &eacute;tait une utopie philosophique et artistique. C&rsquo;est en 2017 que nous avons r&eacute;ellement donn&eacute; vie &agrave; l&rsquo;Afro en tant que premi&egrave;re monnaie panafricaine depuis le cauri, un petit coquillage qui a servi de monnaie pendant 2000 ans en Afrique.
Fild&nbsp;: Quelles sont les ambitions d&rsquo;une cryptomonnaie comme l&rsquo;Afro&nbsp;dans un continent o&ugrave; r&eacute;side une population ayant peu - ou pas - d&rsquo;acc&egrave;s &agrave; internet en 2021&nbsp;?
David Nataf&nbsp;: Sur le continent africain, il y a 54 pays et 40 monnaies. C&rsquo;est une vraie Babel financi&egrave;re o&ugrave; il est impossible de se comprendre&nbsp;! Par cons&eacute;quent, quand une de ces monnaies d&eacute;value trop &ndash; comme au Zimbabwe ou en Angola r&eacute;cemment &ndash;, tout le monde utilise le dollar achet&eacute; sur des march&eacute;s parall&egrave;les qui co&ucirc;te 30% plus cher que la monnaie locale. Prenons l&rsquo;exemple du kwanza angolais d&eacute;valu&eacute; de 40% cette ann&eacute;e. Si l&rsquo;on veut envoyer de l&rsquo;argent d&rsquo;Angola vers l&rsquo;Europe, il faut le changer en dollar. Finalement, le pouvoir d&rsquo;achat des Angolais a baiss&eacute; de 70% avant qu&rsquo;ils aient pu envoyer un centime quelque part. Les objectifs de l&rsquo;Afro sont donc multiples. En premier, faciliter la vie des citoyens en leur permettant d&rsquo;utiliser une m&ecirc;me monnaie partout en Afrique. Ensuite, am&eacute;liorer l&rsquo;investissement des entreprises sur tout le continent. Enfin, aider la diaspora &eacute;parpill&eacute;e dans le monde en r&eacute;duisant les pertes de pouvoir d&rsquo;achat. Tout cela est r&eacute;alisable gr&acirc;ce &agrave; une monnaie alternative panafricaine d&rsquo;&eacute;change commune, qu&rsquo;aucun &Eacute;tat ne contr&ocirc;le, ni impose.
Fild&nbsp;: Dans quels pays l&rsquo;Afro est-il le plus d&eacute;velopp&eacute;&nbsp;?
David Nataf&nbsp;: Aujourd&rsquo;hui, les &eacute;changes avec l&rsquo;Afro sont encore tr&egrave;s faibles. Toutefois, les deux principaux cas d&rsquo;applications se trouvent en C&ocirc;te d&rsquo;Ivoire et dans un deuxi&egrave;me pays d&rsquo;Afrique subsaharienne, avec lequel nous sommes en discussion pour l&rsquo;adoption de l&rsquo;Afro comme seconde monnaie officielle. Nous sommes la premi&egrave;re cryptomonnaie au monde &agrave; avoir sign&eacute; un contrat avec un gouvernement qui va l&rsquo;utiliser dans l&rsquo;un de ses services publics. Le site internet de la poste Ivoirienne va lancer ce mois-ci le service de lettre recommand&eacute;e digitale qui pourra &ecirc;tre utilis&eacute; avec l&rsquo;Afro. Pour le court terme l&rsquo;objectif est d&rsquo;avoir une reconnaissance gouvernementale de deux ou trois &Eacute;tats sur l&rsquo;ensemble du continent africain.
Fild&nbsp;: Concr&egrave;tement, comment un Africain peut-il utiliser l&rsquo;Afro au quotidien&nbsp;?
David Naval&nbsp;: Au B&eacute;nin et au Cameroun par exemple, on &eacute;change des Afros car ce sont des populations fans de cryptomonnaies. Du c&ocirc;t&eacute; du Kenya et de la C&ocirc;te d&rsquo;Ivoire, ils peuvent &ecirc;tre utilis&eacute;s sur l&rsquo;une des trente fontaines de potabilisation d&rsquo;eau que l&rsquo;on a install&eacute;es. Les gens am&egrave;nent un litre d&rsquo;eau non potable venant d&rsquo;un puit ou d&rsquo;une source et avec leurs cartes sans contact charg&eacute;es en Afros, ils repartent avec un litre d&rsquo;eau potable. Ce sont aussi bien des initiatives locales pour aider le quotidien des gens, que des partenariats macro&eacute;conomiques avec des entreprises et des &Eacute;tats.
12/04/2021 - Toute reproduction interdite

Bertrand Soubelet : "La France a besoin de retrouver le calme et la confiance"

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